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Big bots and mini botsJelene Morris (cc-by-sa 2.0)

Big bots and mini bots

Le petit monde des twittos le sait (et le commente) depuis quelques jours : il n’y a pas que chez les Américains que les robots ont commencé à prendre la plume. Pour couvrir les élections départementales des 22 et 29 mars derniers, Le Monde a fait appel aux services de Syllabs, une agence spécialisée dans les technologies sémantiques ayant développé une offre spécifique pour les médias.

Pour faire quoi, exactement ?

Comme l’explique Syllabs sur son blog, il s’agissait d’élargir l’offre du média sur un évènement clé de la vie politique française (« Parce qu'en démocratie il n'y a pas de petites élections », écrivait Luc Bronner, directeur des rédactions du Monde) en lui proposant de faire parler des données présentant un caractère structuré et modélisable.

« Pour les deux tours des élections départementales, nous avons créé des articles locaux pour 34 000 communes et 2 000 cantons, ce qu’il est impossible de faire manuellement. »

Avec quel mode d’emploi ?

« Avant les élections, nos robots ont d’abord rédigé de petits articles pour présenter les informations clés d’une commune à partir de données ouvertes de l’INSEE et du Ministère de l’Intérieur (Open Data). Nous avons ensuite mis en place notre organisation : un robot pour le premier tour et un autre pour le second tour des élections. Ces robots ont présenté les résultats par commune et par canton au fur à mesure que les résultats tombaient pendant la nuit électorale. »

Il est intéressant de voir comment Le Monde a précisé, dans l’entre-deux tours, son approche. Dans le cadre d’un billet de blog de making of utilisé par la rédaction du quotidien, Luc Bronner a souhaité clarifier les termes du débat :

« Si ce travail ouvre de nouvelles perspectives, et offre de nouveaux services à nos lecteurs, il ne remplace en rien le journalisme. Les journalistes du Monde n'avaient de toute façon pas la capacité de produire 30 000 articles sur 30 000 communes en une nuit. Ces textes ne prétendent d'ailleurs pas être des analyses (au contraire des 98 commentaires électoraux sur les résultats à l'échelle des départements écrits par notre service politique avant lundi matin) ni des reportages »

Et maintenant ?

L’enjeu est là : bien nommer les choses (pour éviter, si l’on veut paraphraser Camus, d’ajouter aux malheurs du monde numérisé). Dans la foulée de ces annonces, nombre de billets de blogs et d’articles ont d’ailleurs été publiés, disant à peu près tout et son contraire, sur les perspectives pour les rédactions.

Quand le blog MetaMedia reprend les « 10 considérations éthiques » publiées par Tom Kent, directeur de la rédaction d’AP, sur Medium, c’est pour parler de robots journalistes. Qui est responsable, qui est auteur, quelles sont les données, qui vérifie et/ou qui valide ? Pour quel(s) récit(s) et quel avenir ?

Robots journalistes ou robots rédacteurs ?

De son côté, l’équipe de Syllabs évoque plutôt la notion de robot rédacteur (traduction, du reste, du writing (ro)bot qui est plus utilisée aux Etats-Unis où des entreprises comme Narrative Science ont déjà mis un pied dans des grands groupes médias). Ce faisant, l’accent est mis sur un aspect clé : il n’est pas question de mettre en ordre de bataille des bataillons de reporters capables d’empathie, de jongler en mode multitasking et de livrer de la copie Pulitzer-able au kilomètre.

Il s’agit plus modestement de contribuer à la transformation des rédactions qui, à l’heure des algorithmes et des données, ont besoin de repenser leur rôle et leur modèle de fonctionnement.  Et l’on sait depuis des lustres déjà que la répétition du même est désormais sans objet (comme le montrait très bien cet article publié sur un blog du Wall Street Journal : « Si votre job est routinier, attention, c’est qu’il est probablement sur le point de disparaître »). Le journalisme reste indispensable dans ce qu’il a de plus précieux : le terrain, l’analyse critique, le sens du récit.

Liens :

Déclaration d’intérêt :
L’auteur de ce billet accompagne depuis quelques mois les co-fondateurs de Syllabs dans le développement de leurs activités au service des médias en France et en Europe. Avec un cap clair : mettre ses robots rédacteurs au travail pour transformer la façon dont on peut faire parler des données.